Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 17:25
L’OMS SOUS L’INFLUENCE DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE

 

Un article du quotidien Le Monde daté du 26 mars 2010.

 

Genève Correspondance. Agathe Duparc

 

L'Organisation mondiale de la santé a-t-elle été manipulée par les grands laboratoires pharmaceutiques ? Depuis des mois, les conclusions d'un rapport consacré à la recherche sur les maladies négligées dans les pays en développement alimente les soupçons. Face à la menace d'un scandale, la directrice générale de l'OMS, Margaret Chan, a annoncé le 20 janvier qu'une enquête était en cours et que l'immunité diplomatique des membres du groupe d'experts chargé de rédiger le rapport, serait s'il le faut, levée. Mais deux mois plus tard, il est toujours impossible pour les médias d'obtenir le moindre détail sur l'affaire.


Contactée par Le Monde, la porte-parole de l'OMS, Fadela Chaïb répond que "le docteur Chan a promis qu'elle informerait les Etats membres des résultats de l'investigation lancée lors de l'Assemblée mondiale de la santé qui se tiendra du 17 au 21 mai 2010." Quant au rapport final qui devrait être prêt le 13 mai, juste avant l'Assemblée, personne ne sait encore ce que sera son contenu, ni si les propositions qui semblent déranger la Fédération internationale des fabricants de médicaments (l'IFPMA) y figureront.


Tout a commencé, le 8 décembre 2009. Alors que le monde entier avait les yeux rivés sur la pandémie de grippe A (H1N1), un rapport confidentiel de l'OMS consacré aux maladies des pauvres, ces "maladies négligées" dont les grands laboratoires pharmaceutiques se désintéressent faute de pouvoir en tirer des profits, était mis en ligne par Wikileaks, site spécialisé dans les documents sensibles.

 

Ce rapport, rédigé par un groupe d'experts de l'OMS, et fruit de sept ans de réflexions, devait proposer des solutions pour remédier à cette situation qui se traduit par des millions de morts dans les pays en développement chaque année. En annexe de ce rapport de 111 pages "fuitaient" aussi quatre documents dont un étonnant mail rédigé le 1er décembre 2009 par la IFPMA qui compte parmi ses membres les plus gros laboratoires de la planète.


On y apprenait que l'IFPMA avait pu consulter en primeur le brouillon du rapport, reçu de manière "confidentielle", et faire ses commentaires. Dans un texte de deux pages, le lobby pharmaceutique passe en revue les bons et les mauvais points. Il juge ainsi problématique la proposition du Brésil d'instaurer une taxe sur les profits des industries pharmaceutiques censée rapporter 160 millions de dollars (120 millions d'euros) par an.


L'IFPMA s'interroge également sur la solution d'une "communauté de brevets", lancée par Unitaid, l'initiative internationale visant à faciliter l'accès aux traitements contre le sida par des financements innovants. Ce système permet une gestion collective des droits de propriété intellectuelle afin de faire baisser le prix des médicaments.


A la lecture de ces "fuites", la prestigieuse revue médicale britannique The Lancet avait rédigé un éditorial au vitriol accusant le lobby pharmaceutique de "saboter le travail du groupe de travail de l'OMS", et affirmait qu'on ne devrait plus lui permettre "de rançonner les pauvres du monde."


Les commentaires de l'IFPMA auraient pu en rester là, si ce travail de lobbying n'avait pas été suivi d'effets, quelques semaines plus tard. Le 18 janvier 2010, lors d'une réunion à Genève du Conseil exécutif de l'OMS qui compte 34 représentants de pays, un rapport de synthèse de 19 pages était remis aux participants, reprenant seulement une petite partie des conclusions du rapport qui était sorti sur Internet. Exit la fameuse idée brésilienne d'une taxe sur les bénéfices des industries pharmaceutiques, supplantée par des mesures de financement traditionnelles. Disparues la plupart des mesures innovantes qui s'attaquaient au système de propriété intellectuelle tel qu'il fonctionne aujourd'hui.

 

Depuis des années, les grands laboratoires pharmaceutiques expliquent que pour financer la recherche et le développement de nouvelles molécules, processus très coûteux, seul le système des brevets, qui permet de bénéficier pendant vingt ans d'un monopole sur un nouveau médicament, est optimal. Les partisans d'une rupture préconisent au contraire des mécanismes qui permettraient de séparer le problème des coûts de la recherche, de celui du prix des médicaments, et de réconcilier l'innovation et l'accès aux médicaments.


En découvrant ce rapport de synthèse épuré, certains experts de l'OMS sont sortis du bois. Dans un mail adressé le 16 janvier aux membres du Conseil exécutif, la sénatrice colombienne Cecilia Lopez Montano dit sa colère d'avoir été "utilisée pour légitimer un processus" auquel elle estime n'avoir pas pleinement participé comme la majorité de ses collègues experts. Elle raconte avoir assisté à deux réunions et avoir demandé que les questions liées à la propriété intellectuelle sur les médicaments soient discutées en priorité. "A ma surprise, j'ai constaté un grand empressement à éviter les discussions sur ces sujets", écrit-t-elle.


Pour les ONG, le choc a aussi été grand. Thiru Balasubramanian de Knowledge Ecology International (KEI) attend la suite des événements. Sans se faire d'illusions. "Quand la fuite a eu lieu, il était impossible d'étouffer le scandale" estime-t-il.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires